Crédibilité et sauvetages bancaires

Par François Gourio

M. Dijsselbloem, ministres des finances des Pays-Bas et actuel président de l’Eurogroup (le conseil des ministres des finances des pays de la zone Euro) a provoqué un tollé lundi en suggérant que les solutions appliquées à Chypre pourraient l’être dans d’autres pays de la zone Euro. En particulier, les déposants ayant des encours supérieurs à 100 000 euros (non couverts par la garantie des dépôts donc) pourraient subir des pertes en cas de faillite de leur banque.

La réaction ne s’est pas fait attendre : le cours des actions des grandes banques a baissé de plus de 3%, et les taux d’intérêts auxquelles les banques empruntent ont augmenté, ainsi que la figure suivante le montre Plus précisément, la figure montre le prix de l’assurance sur le défaut de BNP ; Santander ; Societe Generale ; ING ; BBVA ; Unicredit ; et Deutsche Bank). Aux yeux des investisseurs, la déclaration de M. Dijsselbloem suggère que les autorités européennes sont peu portées à « sauver » les banques en utilisant les fonds publics.

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Ce micro-évènement illustre le problème fondamental de crédibilité de la politique de non-sauvetage bancaire. Crédibilité ici a un sens bien précis qu’on peut énoncer de façon générale: un décideur annonce ce qu’il fera si un évènement se réalise ; mais une fois l’évènement réalisé il n’est pas dans son intérêt de tenir sa promesse. Les autres agents économiques, anticipant que la promesse ne sera pas tenue, n’attribuent pas de valeur à l’annonce. Dans ces conditions, il peut être souhaitable pour le décideur de se « lier les mains » par exemple en créant un mécanisme légal ou politique qui le forcera à tenir sa promesse. (François Velde a discuté dans ce post l’exemple de la dette souveraine.) Il est important de noter que ce problème de crédibilité ne suppose ni erreur, ni manque de rationalité, ni corruption – un décideur avec les meilleures intentions du monde peut être pris dans ce dilemme où sa parole n’est pas crue car il ne sera pas souhaitable de la tenir.

Dans le cas présent, le dilemme touche à la résolution des institutions bancaires en faillite. Le décideur annonce qu’en cas de faillite, les actionnaires, les détenteurs d’obligations, et si nécessaire les dépositaires non couverts par la garantie des dépôts supporteront les pertes. Cette annonce est souhaitable tant du point de vue de l’efficacité que du point de vue redistributif. Du point de vue de l’efficacité, les banques, ne pouvant compter sur un sauvetage de l’état, ne prendront pas de risques excessifs : d’une part les actionnaires souhaiteront éviter de perdre leur investissement, d’autre part la banque réagira au coût de financement plus élevé (discuté dans un post précédent). Cette diminution du risque réduit la probabilité d’une faillite, et évité l’augmentation d’impôts (distortifs) nécessaires pour financer les sauvetages bancaires. Du point de vue redistributif, les sauvetages bancaires constituent en général un transfert régressif, car on taxe l’ensemble de la population (y compris les pauvres) pour transférer aux créditeurs des banques (qui sont en général plus riches).

Mais cette promesse de faire payer les créanciers des banques est rarement tenue à posteriori une fois la faillite avérée. L’Etat, même s’il n’est pas soumis au lobbying, peut considérer durant la crise que sauver les banques est à posteriori dans l’intérêt général. Il y a en pratique deux arguments principaux. D’une part sauver les banques permet de limiter l’impact sur l’économie d’une réduction du crédit. D’autre part une faillite bancaire peut créer une contagion directement ou indirectement. Directement : si la banque A a emprunté à la banque B, et que A fait faillite, B peut faire faillite. (Ce canal de « domino » est très disputé car en pratique, la plupart des échanges sont garantis par un actif, i.e. collatéralisés.) Indirectement : en sauvant une banque, on permet aux autres de se financer à des conditions raisonnables puisque les prêteurs peuvent compter sur une garantie de l’état. Donner cette garantie peut être souhaitable dans une situation de « panique » où les anticipations sont excessivement pessimistes.

Cette tension entre les annonces – parfaitement motivées – et les politiques effectivement poursuivies – qui ont elles aussi leur logique – se produit en temps réel durant les crises. Prenons d’abord l’exemple de la crise de l’immobilier de 2008-2009 aux Etats-Unis. Tandis que Sheila Bair, en charge de l’assurance des dépôts américaines (FDIC), souhaitait imposer des pertes aux créanciers de la banque Washington Mutual Wachovia (corrigé le 28/3/13) en faillite, les autres autorités (Hank Paulson, secrétaire au Trésor, Tim Geithner, alors président de la Fed de New York, et Ben Bernanke, président de la Réserve Fédérale) ont obtenu que cela ne soit pas le cas. En effet, dans un contexte où de nombreuses autres banques cherchaient précisément à emprunter, le message adressé aux prêteurs aurait été désastreux. Au final, l’Etat américain a d’ailleurs temporairement garanti les emprunts des grandes banques américaines pour une période limitée.

Mais cette histoire a un autre versant – précisément parce que les banques anticipent ces mesures de sauvetage, leur incitation à éviter la faillite (en réduisant leur risque ou en se recapitalisant, i.e. en trouvant de nouveaux investisseurs) est réduite. L’exemple le plus frappant est celui de Lehman Brothers : les dirigeants de la banque ont refusé de se recapitaliser à l’été 2008 malgré plusieurs offres. Après le sauvetage de Bear Sterns au printemps 2008, la recapitalisation paraissait trop coûteuse : mieux valait espérer un retournement de situation, et compter sur le sauvetage dans le pire des cas.

Le cas de la zone euro, bien qu’il soit différent à bien des égards, suscite aujourd’hui des dynamiques similaires. Benoît Coeuré (BCE) par exemple a exprimé son désaccord avec M. Dijsselbloem: comme Paulson, Bernanke ou Geithner avant lui, M. Coeuré préfère essayer de stabiliser le secteur bancaire.

Se dessinent alors deux grandes options de politique de régulation. Soit on accepte que, de toute façon, on ne laissera pas les grandes banques faire faillite. Dans ce cas, il faut les réguler fortement pour limiter leur risque. Soit on décide d’organiser à l’avance leur faillite. La loi sur la réforme de la finance récemment votée à l’assemblée nationale, comme la loi Dodd-Frank aux Etats-Unis, requiert que les banques (et autres institutions financières systémiques) soumettent un « testament » (« living will ») aux autorités de régulation pour permettre d’organiser leur faillite le cas échéant. Il reste à voir si les régulateurs choisiront effectivement d’utiliser ces dispositifs le moment venu, ou si, confrontés au même dilemme que précédemment, ils préféreront à nouveau de sauver les créditeurs.

Pour conclure, une petite vidéo (en anglais) où la sénatrice démocrate du Massachusetts, Elizabeth Warren presse Ben Bernanke sur le sujet. Le patron de la Fed, au calme pourtant légendaire, semble agacé que les marchés continuent de croire en un sauvetage bancaire (cf. encore une fois ce post). D’après Ben Bernanke, les nouveaux dispositifs de la loi Dodd-Frank rendent ces croyances des marchés irrationnelles.

4 réflexions au sujet de « Crédibilité et sauvetages bancaires »

  1. Jérôme de Tychey

    Il me semble que la loi sur la réforme bancaire votée à l assemblée nationale ne fait qu étendre les pouvoirs de l ACP pour faciliter le pilotage des banques qui traversent une crise. Les living will sont à venir avec la Bank Recovery and Resolution Directive en préparation. Est ce que je me trompe?

    Merci pour ce blog qui occupe admirablement un espace laissé trop longtemps libre.

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  2. Ping : Blog de Crampi » Trouvailles 31/03/13

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